
La pluie crépite sur la fenêtre de la chambre, le vent s’engouffre par toutes les fissures et les bouches d’aération et fait trembler les boiseries. En pleine nuit mon sommeil est ainsi interrompu. Cela se passe à… Malte. Je pense tout de suite à l’apôtre Paul dont le bateau s’est échoué sur cette île. Ce naufrage allait marquer définitivement ce petit archipel situé entre l’Afrique du Nord et la Sicile. D’ailleurs, le surlendemain est jour férié : c’est le jour de la fête liturgique de l’arrivée de l’apôtre qui, encore aujourd’hui, est considéré comme le père de la nation maltaise.
La circulation en mer Méditerranée allait, malgré ses dangers, faciliter l’expansion de la foi chrétienne à travers le monde de l’époque. Une circulation parfois difficile à cause des conditions météorologiques, parfois à cause des conflits opposant les puissances de chaque époque, puissances à la fois militaires et commerciales : il suffit de voir à Malte les traces des Vénitiens, des Byzantins, des Ottomans, des chevaliers de l’ordre de Malte et encore plus récemment celles des Alliés opposés à l’Italie de Mussolini et à l’Allemagne de Hitler.
Que de luttes, que de combats, que de blessures, que de monuments et mémoriaux qui rappellent ces temps passés si peu paisibles et qui parsèment les îles de Malte et de Gozo !
D’autres invasions se déroulent toujours aujourd’hui. Si Malte est peu touchée par les migrants fuyant l’Afrique, celles de la main d’œuvre étrangère, surtout balkanique, et des touristes sont conséquentes. L’importance des ports et des services aux bateaux d’une part, le nombre d’hôtels et de restaurants d’autre part témoignent de la quantité de main d’œuvre nécessaire travaillant y compris le dimanche, 40 heures par semaine, pour un salaire qui permet tout juste de se loger et de se nourrir.
Dans une ruelle du centre de La Valette se cache une petite église grecque-catholique dédiée à la Mère de Dieu de Damas. Elle abrite un trésor : l’icône de la Mère de Dieu dite de Damas, rapportée en 1530 par les chevaliers de Malte chassés de Rhodes : icône imposante de près d’un mètre et demi de haut, de type Vierge de Tendresse. Les spécialistes estiment qu’elle est contemporaine à celle dite de Vladimir, si vénérée en Russie. Elle aurait été peinte à Constantinople, ou en Syrie par un artiste de Constantinople, au XIIe ou XIIIe siècle. Elle aussi elle a voyagé… Pendant la deuxième guerre mondiale, elle avait été heureusement mise à l’abri. A raison : en mars 1942 un bombardement aérien allemand a ruiné l’église de fond en comble.
Reconstruite, la petite église abrite également d’autres trésors, dont une copie réduite de l’icône patronale du monastère des Grottes de Kiev, de taille réduite et de format « italien » (plus large que haute). Chose étonnante, l’original a été détruit également en mars 1942 quand l’église principale du monastère a été dynamitée dans la grande cité ukrainienne…
Dans la tradition byzantine, lors des deux grands offices de la journée (vêpres et matines) et lors de la liturgie eucharistique, la grande litanie qui en marque le début contient l’intention suivante :
En grec : Ὑπὲρ πλεόντων, ὁδοιπορούντων, νοσούντων, καμνόντων, αἰχμαλώτων καὶ τῆς σωτηρίας αὐτῶν τοῦ Κυρίου δεηθῶμεν
En slavon : О плавающих, путешествующих, недугующих,страждущих, плененных и о спасении их Господу помолимся
En français : Pour les voyageurs, les navigateurs, les malades, les affligés, les prisonniers, pour tous ceux qui peinent et pour le salut de tous, prions le Seigneur.
Une litanie chantée à La Valette à l’église de la Mère de Dieu de Damas au moins une fois chaque jour, en langue maltaise en semaine, en grec le dimanche. L’assemblée liturgique y est peu nombreuse : beaucoup travaillent le dimanche, nous l’avons déjà dit, surtout quand ils sont étrangers : quelques Russes, Serbes, des touristes de passage et bien sûr des Maltais. Une litanie qui englobe les travailleurs de la mer, les métiers liés au tourisme et les touristes eux-mêmes. Ces touristes, ne sont-ils pas aussi un peu pèlerins, ces femmes et ces hommes qui veulent « changer d’air » quelques jours, découvrir des richesses artistiques remarquables, un dépaysement où cohabitent les traditionnelles cabines téléphoniques typiquement britanniques et les palmiers et cactus habituels de cette latitude, nous sommes au sud de Tunis.
Ce dernier dimanche avant le grand carême, autour de l’autel, trois prêtres concélèbrent : le curé en titre, l’archimandrite George Mifsud dont la foi et le rythme qu’il impulse à la liturgie ne permettent pas de deviner son âge : 91 ans. Il a été ordonné prêtre à la fin des années cinquante par kyr Ivan Bucko. Le père Martin Zammit, un Maltais également, prêtre marié ordonné il y a moins d’un an par Mgr Manuel Nin, exarque apostolique des catholiques de rite byzantin de Grèce et le père Oleksandr Smerechinsky, aumônier national des marins ukrainiens. Un reflet de Malte, île carrefour d’échanges et de rencontres.
Ces jours-ci les chrétiens ont entamé également un autre voyage, celui vers Pâques. Il dure lui aussi quelque quarante jours. Le peuple hébreu avait mis quarante ans pour traverser le désert et rejoindre la terre promise. Cela ne se fit pas sans mal, sans récriminations, révoltes, souffrances… Jésus également s’était retiré au désert avant de proclamer la Bonne Nouvelle. Pendant les quarante jours que cela avait duré, il dut combattre les tentations. D’une manière semblable nous sommes donc appelés à cheminer chaque année pour nous convertir en nous armant du jeûne et d’une prière encore plus intense pour nous rendre dignes d’accueillir le Christ ressuscité. Dans le diocèse de Lyon cent quinze catéchumènes ont reçu le premier dimanche de carême l’appel décisif de l’évêque en vue du baptême la nuit de Pâques, donc dans… quarante jours : dernière étape de leur voyage pour découvrir les vérités de la foi chrétienne, constituant un stimulant pour ceux qui sont devenus chrétiens il y a longtemps.
Régulièrement, dans la tradition orientale, les fidèles demandent un office pour les défunts pour le quarantième jour du décès de leurs proches. La naissance au ciel, comme nous avons coutume d’appeler la mort d’un baptisé, est aussi le début d’un voyage dans l’éternité. Et il est bon de prier pour eux et d’espérer leur intercession pour nous auprès du Seigneur.
Finalement, cette intention de la grande litanie « pour les voyageurs, les navigateurs… » souvent actualisée par « pour ceux qui voyagent par voie de terre, de mer et d’air » nous concerne tous. Et nous invite, qu’à l’exemple de l’apôtre Paul, chacun de nos voyages soit évangélisateur et fécond.
Michel Staniul, diacre de la paroisse catholique de rite byzantin de Lyon.