Se souvenir du passé pour mieux penser l’avenir, mémorial day en Moselle

Dimanche 11 juin 2017 les Ukrainiens de l’Est de la France ont célébré une journée de mémoire pour les victimes ukrainiennes tombées en France durant la deuxième guerre mondiale.

Cette journée organisée par les différentes associations ukrainiennes de la région a regroupé plusieurs dizaines de personnes venues de Metz, Algrange, Uckange, Nancy, Saverne et d’ailleurs, qui ont participé à cette commémoration pour rendre hommage aux disparus du camp nazi de Ban-Saint-Jean, majoritairement des Ukrainiens.

A la lumière des événements tragiques que traverse l’Ukraine aujourd’hui, il est très important de maintenir vivante la mémoire de la grande tragédie humaine qu’a été la Deuxième guerre mondiale. Il est important de se rappeler de tous ceux qui par leur combat, leur volonté et leurs vies ont rendu possible la défaite du nazisme.

L’Ambassadeur d’Ukraine en France, Monsieur Oleg Shamshur a salué le travail extraordinaire de l’Association France Ukraine (AFU) réalisé pour rétablir la mémoire du site du Ban St-Jean en remerciant le professeur Gabriel Becker (qui a effectué d’importantes recherches d’archives), Anatole Silbernagel, Silvestre Kysilenko, Dr. Julien Schvartz (décédé en 2014), le Président actuel de l’Association Franco-Ukrainienne Bruno Doyen et les autres membres de l’AFU pour avoir contribué à la sauvegarde de la mémoire de ce site historique et de toutes ces victimes qui ont laissé leur vie dans les camps de Boulay-Moselle, ayant trouvé leur mort, exterminés par la faim et par des conditions de vie inhumaines.

Monsieur Oleg Shamshur a souligné que l’Ukraine a apporté une contribution majeure à la lutte contre le régime hitlérien : « les pertes totales de l’Ukraine au cours de la Seconde Guerre mondiale sont estimées de 8 à 10 millions de personnes. Les combats ont frappé l’Ukraine durant 1.225 jours, 60% des forces allemandes étant concentrés sur le territoire ukrainien. L’Ukraine a donné à l’Armée Rouge plus que 6 millions de militaires. Environ 150.000 Ukrainiens ont combattu dans la coalition antihitlérienne sur les fronts de l’Atlantique, de l’Europe à l’Afrique et dans le Pacifique. Dans les rangs de la Légion Etrangère, ils ont pris part aux combats dans les Flandres, sous Sedan, sur la Somme, la Seine, la Marne, la Loire et la Saône. Beaucoup d’Ukrainiens ont été faits prisonniers par les Allemands sur le sol français. Leur sort dans les camps nazis était atroce. Les gens mourraient de faims et de froid. Il en existe des témoignages ici, en Lorraine ».

L’histoire de Ban-Saint-Jean marque les esprits à jamais. En 1941, le camp de Ban-Saint-Jean est transformé progressivement par les nazis en lieu de détention pour les prisonniers français. Le sergent François Mitterrand séjournera d’ailleurs au camp pour une période très brève. Affecté à des travaux de jardinage à l’hôpital de Boulay-Moselle, il réussit à s’enfuir, grâce à un réseau de passeurs locaux. Il se terre quelques jours à Boulay, avant de regagner Metz, Nancy et la France libre.

L’histoire dramatique et tragique du Ban-Saint-Jean commence le 22 juin 1941 avec l’invasion de l’Union Soviétique par la Wehrmacht, dans le cadre de l’opération Barbarossa. Les Ukrainiens sont aux premières loges : naïfs et candides, trop crédules (Hitler leur avait laissé entrevoir leur libération du bolchévisme, à eux qui n’avaient jamais admis la mainmise de Lénine en 1920 sur leur souveraineté). Ils sont faits prisonniers par centaines de milliers. Au départ, l’Etat-Major nazi tergiverse : que faire de tous ces prisonniers ? Comme ils relèvent de la communauté slave, ils font donc partie des sous-hommes, des Untermenschen qu’il s’agit d’exterminer. La propagande nazie avait suffisamment chauffé les esprits dans ce sens. Mais rapidement les autorités nazies se ravisent et décident de les envoyer à l’Ouest et plus précisément en Moselle, annexée à l’époque, où ils seront affectés dans les mines de fer et de charbon. Une main d’oeuvre taillable et corvéable à merci, bienvenue sur les sites de production industrielle pour colmater les brèches dues à l’enrôlement quasi général des Allemands dans les rangs de la Wehrmacht. C’est l’arrivée massive des Ostarbeiter.

Les archives officielles de l’armée française consultées à Colmar font état de 300 000 prisonniers soviétiques qui ont transité par le Ban-Saint-Jean entre l’automne 1941 et l’automne 1944.

A la fin de la guerre, les Ukrainiens survivants obtiennent les autorisations nécessaires à la création d’un cimetière décent qu’ils financent et consacrent à la mémoire de leurs compatriotes. Au fil des années, ces cérémonies connaissent un succès croissant et Moscou finit par le savoir. L’URSS ne peut pas tolérer qu’un Etat membre de l’Union continue à afficher seul sa culture mémorielle à l’étranger et via la voie diplomatique, il va faire pression sur Paris, pour mettre cette fête en sourdine. Comme l’explique très bien Georges Coudry dans son ouvrage « Les camps soviétiques en France » (Albin Michel) p. 297 : « Le combat des dissidents ukrainiens pour la reconnaissance de leur identité historique et culturelle avait alors ses prolongements jusque dans les cimetières français ».

Le prétexte officiel sera la création d’une nécropole soviétique commune à Noyers Saint-Martin (Oise).

On procède in situ à trois campagnes d’exhumation en 1979 et 1980. Le monument ukrainien à Ban-Saint-Jean avec le Trident disparait mystérieusement en 1980. Les victimes ukrainiennes du Ban-Saint-Jean redeviennent soviétiques à Noyers Saint-Martin.

En automne 2000, la population locale apprend par la presse que la municipalité de Denting envisage la construction au Ban-Saint-Jean d’une usine d’incinération des boues des stations d’épuration de toute la Moselle. Gabriel Becker, alors secrétaire-adjoint de l’ADPN (Association de Défense du Pays de Nied), tire la sonnette d’alarme et réussit à créer le front du refus, invoquant les risques environnementaux et le respect pour le site historique. Réunions publiques, pétitions, manifestations se succèdent. Gérard Géronimus, maire de Coume, interpelle Jean-Pierre Masseret, ministre délégué aux Anciens Combattants pour lui exposer la situation. Jean-Pierre Masseret se rend à ses arguments et par fax, passe à Madame Malgorn, préfet de la Moselle, l’ordre de suspendre le projet industriel.

Voici le script du fax ministériel : « Dans l’espace du Ban-Saint-Jean, 30 000 Ukrainiens prisonniers des nazis ont été détenus et y ont trouvé la mort dans des conditions contraires aux grandes valeurs de l’humanité. S’il est certain que beaucoup de corps et d’ossements ont été exhumés, personne ne peut dire qu’il n’y en a plus. Mon administration consultée par mes soins ne peut donner cette garantie. Dans le doute, je crois qu’il est nécessaire d’arrêter le projet. Le respect de la mémoire des victimes de la barbarie nazie mérite le respect et le recueillement ». Le projet est donc abandonné.

Gabriel Becker veut en savoir davantage sur toute cette question. Il commence ses investigations auprès des anciens témoins, recueille leurs témoignages, consulte les archives et la presse de l’époque, photographie les objets-souvenirs offerts aux familles bienfaitrices par les prisonniers !

L’AFU (Association pour la réhabilitation du charnier du Ban-Saint-Jean) est officiellement créée en mars 2004. Anatole Silbernagel en assume la présidence, sous l’aura du Dr. Julien Schvartz qui assure la Présidence d’honneur jusqu’à son décès en décembre 2014. Parmi les objectifs affichés, figure la promotion du Ban-Saint-Jean en lieu de mémoire, matérialisé par l’érection d’une nouvelle stèle. Les démarches vont durer huit ans, mais le 22 juin 2012, la nouvelle stèle est solennellement inaugurée.

Pour commémorer la mémoire des victimes, ce dimanche 11 juin 2017, le prêtre de l’église ukrainienne greco-catholique de Metz, père Svyatoslav Horetskyi a célébré une Divine Liturgie dans l’église de Momerstroff (Moselle) et un requiem au cimétière ukrainien de Boulay-Moselle, puis deux cérémonies de dépôts des gerbes ont eu lieu aux stèles des victimes ukrainiennes au cimétière de Boulay-Moselle et au Ban St-Jean.

Mme Violeta Moskalu, la présidente de l’Association Echanges Lorraine-Ukraine a souligné le fait que « les Ukrainiens font maintenant un travail de reconstruction identitaire, et la mémoire y a une place centrale, nous avons beaucoup de choses à apprendre de l’Histoire, notamment en Moselle. C’est pour cela que la journée s’appelle Memorial Day, pour rendre hommage aux disparus, pour prendre conscience que nous avons tous une responsabilité collective à connaître et à faire connaître les enseignements du passé. N’oublions pas qu’après de multiples années de guerre, la France et l’Allemagne ont su poser les bases qui ont permis la création de l’Union Européenne, il faut donc faire appel à la mémoire pour mieux penser l’avenir des relations entre l’Ukraine, l’Union et Européenne et la Russie, plus tard, quand la guerre dans le Donbass sera finie, et la Crimée sera de nouveau ukrainienne ».

Monsieur le Colonel Daniel Planchette, conseiller municipal délégué à Metz qui représentait monsieur Dominique Gros, Maire de la Ville de Metz a souligné le fait que la Moselle a une histoire très douloureuse, ce territoire a beaucoup souffert, tiraillé par les multiples conflits entre la France et l’Allemagne, d’où l’importance de préserver la mémoire des victimes et des événements historiques de ce lieu qui fait partie des 255 lieux historiques sous protection de l’Office National des Anciens Combattants et des Victimes de la Guerre du Ministère de la Défense en France.

Un déjeuner commun au restaurant La Grange de Condé et des échanges avec la communauté sur l’importance de la mémoire historique dans la formation de l’identité de la nation ukrainienne ont cloturé la journée. Les leaders de la diaspora ukrainienne Ivan Krupyak et Claude Kuczarczyk, le profeseur de l’Université de Lorraine Patrick Henaff, les membres des associations ELU (Metz) et Taras Shevchenko (Algrange), ainsi que les autres convives ont aussi profité de la presence de l’Ambassadeur d’Ukraine et de l’Attaché de Défense, Colonel Vadym Kuchma pour aborder les différents projets de partenariat entre la Lorraine et l’Ukraine portés par la communauté.

Les participants et l’Ambassade ont remercié Violeta Moskalu, Présidente de l’Association Echanges Lorraine-Ukraine, pour l’organisation de cet événement commémoratif.


Source : Echanges Lorraine Ukraine