Mgr Gudziak : « En Ukraine, l’Église est du côté du peuple »

Evêque de l’Éparchie de Saint-Vladimir-le-Grand, Mgr Borys Gudziak décrypte la situation en Ukraine et les défis pour l’Eglise Ukrainienne Gréco-Catholique dans ce pays. « Anéantie » durant la période soviétique, minoritaire, elle revit après de longues années de clandestinité.

Quel rôle l’Eglise joue-t-elle depuis ces derniers mois ?

Pour commencer, je voudrais souligner le grand capital de confiance dont bénéficie l’Eglise en Ukraine. Diverses études sociologiques ont montré que les institutions du pays ont perdu toute crédibilité aux yeux du peuple, alors que les Ukrainiens font confiance aux médias et à l’Eglise. L’Eglise est intégrée dans la vie de la société, non pas au sens politique, mais pleinement impliquée dans la vie de la société civile.Dès le début, les Eglises ukrainiennes ont été partie prenante dans les événements du Maïdan à divers niveaux. Les pasteurs ont suivi leurs fidèles pour les servir et prier avec eux en toutes circonstances. Comme le Pape François le dit : « Le Pasteur doit porter sur lui l’odeur de son troupeau » (Homélie du 28 mars 2013, NDLR). Depuis trois mois, nos prêtres portent sur eux l’odeur des feux de camp du Maïdan. La tente-chapelle a été construite et bénie le 4 décembre 2013. De nombreux prêtres étaient sur le Maïdan lors des attaques des policiers anti-émeute. Certains se sont même interposés pour protéger les protestataires. D’autres ont récité la prière des morts et donné l’absolution aux mourants, au risque de tomber eux-mêmes sous les balles des snippers, le 20 février 2014. Ce jour-là, la tente chapelle a été incendiée au cours d’une attaque terrible. Mais depuis, les prêtres en ont installé une nouvelle.

Leur deuxième niveau d’implication fut et demeure institutionnel, établissant un pont entre le gouvernement et le peuple. Les chefs des Eglises d’Ukraine et les autres leaders religieux (juifs, musulmans) ont affirmé avec fermeté et à l’unisson la nécessité du dialogue et de l’arrêt des violences. Au début des protestations, le Conseil Ukrainien des Eglises et des organisations religieuses a rencontré le Président Viktor Ianoukovytch – destitué le 22 février 2014, NDLR – et son gouvernement, afin de tenter de régler la situation et d’éviter la violence. Il est important d’insister sur le fait que l’Eglise est du côté du peuple. On a entendu d’autres déclarations venant de l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne du Patriarcat de Moscou, qui soutient traditionnellement le Président, mais au niveau officiel, les Eglises ont parlé d’une seule voix.

A l’occasion de ces mois de lutte, les Eglises en Ukraine ont retrouvé la mission qui était la leur au Moyen-âge – la protection physique du peuple. Le monastère Saint-Michel aux Dômes d’Or a donné asile aux étudiants en fuite, pourchassés par les policiers anti-émeute. De nombreuses églises de Kyiv sont devenues des abris pour les protestataires et même des hôpitaux au cours des derniers jours.

Quels sont les défis pour l’Eglise dans ce pays ?

A présent, toutes les institutions ukrainiennes, et pas uniquement les Eglises, sont face à d’énormes défis. Nous avons un conflit en Crimée, que nous pouvons ouvertement nommer une guerre et une occupation. Dans l’Est du pays, nous sommes face à de nombreuses incertitudes. Tandis que dans bien d’autres régions, la situation reste délicate. Toutefois, on peut observer déjà comment la société ukrainienne a changé. Les gens sont devenus plus responsables, plus solidaires, mais également, bien plus exigeants vis-à-vis des autorités. Et les Eglises, en tant que composante importante de la société civile vont devoir prendre en compte ces challenges sociaux.

Nous devons et devrons faire face à des défis ecclésiaux. L’Orthodoxie ukrainienne est divisée : il existe un conflit aigu entre l’Eglise Ukrainienne Orthodoxe du Patriarcat de Moscou, et l’Eglise Ukrainienne Orthodoxe du Patriarcat de Kiev. Sur le Maïdan, nous avons découvert et vécu un œcuménisme et un dialogue interreligieux authentiques. Maintenant, nous devons transformer cette spiritualité du Maïdan d’aide mutuelle et de respect fraternel en une coopération pacifique. Nous voyons de très prudentes avancées dans la direction d’une unité des Eglises Orthodoxes, tout du moins les discussions sur la nécessité du dialogue sont-elles ré-ouvertes. Cependant, des facteurs internes et externes freinent encore le processus, et la situation évoluant tellement rapidement, il est difficile de prévoir quoi que ce soit.

L’Eglise Ukrainienne Gréco-Catholique (UGCC) a été presque totalement anéantie durant la période soviétique et a survécu dans la clandestinité de 1946 à 1989. Après sa légalisation en 1989, l’UGCC a redémarré avec 300 prêtres de 70 ans d’âge moyen. A présent, les prêtres sont plus de 3000, et la plupart sont de jeunes prêtres. Nous sommes toujours dans une phase de reconstruction de notre institution. En février 2014, le synode de notre Eglise a décidé d’établir un diocèse indépendant pour la Crimée (auparavant le diocèse regroupait Odessa et Crimée). La situation décidera de la réalisation de notre projet…

Quel message souhaitez-vous transmettre aux catholiques en France ?

Le Maïdan était à la recherche de nombre des valeurs que Paris, la France et l’Europe occidentale représentent : l’autorité de la loi, l’égalité de tous devant la justice, les libertés et leurs garanties sociales. Cependant, Paris et l’Union européenne ont aussi besoin de ce qui émane de la Place de l’Indépendance à Kiev et de la nouvelle Ukraine qui émerge devant nos yeux – l’espoir, la fraternité, la solidarité et l’authenticité.
Pour Paris avec sa bourgeoisie atypique, son passé révolutionnaire, son gouvernement actuel et sa culture de tendance de gauche, le Maïdan présente une image de défi social. Les citoyens d’Ukraine « n’aspirent » pas uniquement à recevoir ce que l’Europe peut leur donner au niveau économique, mais à contribuer à leur tour, par ce que l’Ukraine a de mieux : ses traditions particulières et riches et sa sagesse pour aider à régénérer une « Europe fatiguée ». Les Ukrainiens ne veulent pas être de simples bénéficiaires, car ils ont aussi beaucoup à offrir en retour. Ceci est une grande responsabilité pour toute l’Europe et un énorme défi à relever. Les victimes sont véritablement mortes ou ont été blessées en luttant pour les libertés et les valeurs, que l’on qualifie de « valeurs européennes ».

Les catholiques en France prient pour l’Ukraine et s’engagent en nombre. Les possibilités d’aider sont multiples. Actuellement, les Ukrainiens sont en train de perdre la guerre de l’information face à la Russie, qui caricature les protestataires en fascistes, néo-nazis. Purs mensonges. L’Ukraine a besoin de faire entendre sa voix et les catholiques en France peuvent vraiment aider en ce sens.

5 millions de fidèles catholiques en Ukraine 

Plus de 97% des communautés religieuses actuellement enregistrées en Ukraine sont des communautés chrétiennes. La moitié d’entre elles sont de tradition orthodoxe. L’autre moitié se divise entre catholiques et protestants. Il y a 3 juridictions orthodoxesprincipales en Ukraine : l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne du Patriarcat de Moscou – 12485 communautés (avec à sa tête, le métropolite Volodymyr Sabodan), l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne du Patriarcat de Kiev- 4536 communautés (avec à sa tête, le Patriarche Filaret Denysenko), l’Eglise Orthodoxe Ukrainienne autocéphale – 1205 communautés.

Les catholiques en Ukraine sont peu nombreux – 5 millions de fidèles pour 46 millions d’Ukrainiens, mais représentent une minorité active. Les Catholiques sont des fidèles de l’Eglise Ukrainienne Gréco-Catholique (sui juris) et de l’Eglise Catholique Romaine en Ukraine. L’Eglise Ukrainienne Gréco-catholique a un héritage unique de résistance et, par la même, une autorité morale forte dans toute la société. Interdite par les autorités soviétiques en 1946, cette Eglise a fonctionné et servi ses fidèles dans les catacombes et a été le plus grand mouvement d’opposition au totalitarisme soviétique.

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