Prot. N. 22/066 FR
Révérends archevêques et évêques,
Révérend Pères,
Vénérés frères et sœurs dans la vie monastique et religieuse,
Laïcs bien-aimés en Christ de l’Église gréco-catholique ukrainienne
Le Christ est ressuscité !
Tu es descendu dans les profondeurs de la terre, ô Christ,
Et a rompu les liens éternels qui retenaient les captifs,
Et comme Jonas de la baleine le troisième jour,
Tu es sorti du tombeau !
Ode 6, Canon Pascal
Bien-aimés en Christ !
Cette année, nous abordons la Pâque du Christ au milieu de défis particuliers, de souffrance, de cruauté, d’indignités et de ruine. Pour notre peuple, en Ukraine et à l’étranger, il semblerait que la croix de notre Seigneur ait été brusquement posée sur nos épaules dès le début du Grand Carême. Et depuis, nous ne la portons pas depuis un jour ou deux, ni une semaine ou deux , mais en continu, jour et nuit. Pour nous, le Vendredi Saint est devenu notre pain quotidien, notre réalité quotidienne, et nous ne savons pas quand viendra le jour glorieux de la victoire sur le mal, la haine et la violence. Cependant, c’est précisément aujourd’hui que notre Seigneur nous appelle à ne pas douter de la victoire de la lumière sur les ténèbres, de la vie sur la mort, de la vérité sur le mensonge, et Il nous assure de son amour et de sa grâce. En lui, notre Sauveur ressuscité, nous puisons la force au milieu de nos souffrances d’aujourd’hui. Il est la source de notre espérance. C’est pourquoi, avec l’apôtre Paul, nous disons aujourd’hui : « …nous sommes dans la détresse, mais sans être angoissés ; nous sommes déconcertés, mais non désemparés… En effet, nous, les vivants, nous sommes continuellement livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus, elle aussi, soit manifestée dans notre condition charnelle… » (2Cor. 4:8,11). Dans cet esprit avec confiance, nous nous saluons par le salut victorieux : « Le Christ est ressuscité ! Il est vraiment ressuscité ! »
Tu es descendu dans les profondeurs de la terre, ô Christ…
Dans sa souffrance et sa mort sur la croix, le Christ descend dans les profondeurs de notre nature humaine déchue. Acceptant la pire des cruautés – trahison, condamnation illégale, moquerie, crachats, coups au visage, flagellation et meurtre (voir Mc 10, 33-34), le Fils de Dieu assume toutes les conséquences du péché humain. On ne peut pas être plus éloigné de Dieu, de la pire chute humaine, de la plus grande dégradation de la dignité, dignité pour laquelle l’homme a été créé. Peut-être cette semaine, dans le contexte de la guerre, en lisant ou en écoutant les Évangiles de la Passion du Christ, avons-nous surtout ressenti et vécu tout ce que le Seigneur a enduré pour notre salut.
En même temps, nous avons pris conscience de la façon dont la nature humaine reste déchue, de la façon dont le diable continue de contrôler les êtres humains, qui n’ont pas Dieu dans leur cœur. Celui qui sème la haine et incite à la guerre contre son prochain, s’oppose au Tout-Puissant. Toute guerre est une manifestation claire de l’action dévastatrice et meurtrière du diable, car seul le malin est capable de répandre la peur et de porter la mort de cette façon, et est capable d’infliger de telles blessures, destructions, douleurs, et pertes. Et même si le chemin vers la guérison et l’apaisement des traumatismes peut sembler long, bouché ou infranchissable pour ceux qui souffrent, nous devons nous rappeler qu’avec le Christ ressuscité, il n’y a rien qui ne puisse être conquis ou guéri.
La guerre actuelle de la Russie contre l’Ukraine est la guerre d’une prison des nations qui cherche à se rétablir sous nos yeux. L’occupant nous apporte à nouveau des chaînes, avec lesquelles des générations entières de nos ancêtres ont été enchaînées. Les chaînes qui liaient les bras des cosaques qui ont construit Saint-Pétersbourg. Les chaînes qui, pendant des siècles, ont lié la vie intellectuelle et ecclésiale de l’Ukraine. Les chaînes des serfs, chaînes du Holodomor, chaînes des millions d’Ukrainiens déportés et exilés, dont les ossements jonchent la vaste étendue sibérienne « jusqu’aux extrémités de la terre ». Les idéologues de la guerre de la Russie contre l’Ukraine déclarent ouvertement que notre existence est une erreur de l’histoire – une erreur qui doit être rectifiée précisément par des « liens éternels » de mort et de destruction. C’est une guerre contre le droit même du peuple ukrainien à sa propre histoire, sa propre langue et sa propre culture, à son propre pays indépendant, à sa propre existence.
Du point de vue spirituel, il est devenu clair que notre voisin agressif est incapable de rejeter ses fausses idoles et comment, en elles, il continue à vouloir chercher à rétablir sa grandeur à nos dépens. Avec ses missiles de croisière, ses bombes et ses obus d’artillerie, il cherche à instiller la peur, à nous conduire dans les profondeurs de la terre et de l’inexistence, à nous lier avec des chaînes éternelles. Et c’est précisément dans ces abris souterrains qu’un miracle a lieu – celui de la prière commune, de l’aide désintéressée au prochain, d’un esprit non brisé et de la démonstration de la puissance de la présence de Dieu.
Et ont brisé les liens éternels qui retenaient les captifs…
Notre icône traditionnelle de la Résurrection du Christ est l’icône de la Descente aux Enfers. Y sont représentées les portes brisées de l’enfer et les chaînes rompues du péché. La résurrection du Christ est une fête de la victoire – victoire de la vie sur la mort, de la vérité divine sur le mensonge diabolique, de l’amour sur la haine. Un de nos soldats a écrit sur son casque la prière suivante : « Dieu, si je suis tué sur le champ de bataille, emmène-moi au paradis, car j’ai déjà été en enfer ! » Dans sa résurrection, le Christ émerge non seulement du tombeau vide, mais des profondeurs de l’enfer et de la captivité mortelle pour l’humanité. Il n’émerge pas seul, mais en prenant par la main nos ancêtres Adam et Ève, Il sort toute l’humanité des liens de la mort. Il prend la main de nos soldats et de nos volontaires, de notre population civile, qui ont vu l’enfer de l’occupation russe, Il prend la main de l’Ukraine et la conduit à la résurrection, la remplissant de la joie pascale de l’hymne victorieux « Le Christ est ressuscité ! »
Aujourd’hui, alors que l’Ukraine se défend contre un ennemi insidieux, nous sommes plus que jamais appelés au combat spirituel, en nous rappelant que le mal ne peut être vaincu que par le bien. Saint Paul nous rappelle que nous devons être prudents, afin qu’au milieu des horreurs de la guerre nous sachions rester humains et ne tombions pas dans le piège du diable de la méchanceté et de la haine : « Pour la liberté, Christ nous a libérés ; Alors tenez bon, ne vous mettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage… Car toute la Loi est accomplie dans l’unique parole que voici : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Galates 5 : 1, 14). Et puis il encourage chacun de nous à s’ouvrir à la grâce divine et à permettre au Saint-Esprit de porter son fruit vivifiant : « Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi. En ces domaines, la Loi n’intervient pas ». (Gal. 5:22-23).
Pâques est la fête de la victoire de l’amour sur la haine, de la joie sur la douleur, de la paix sur la guerre, de la patience sur la panique, de la gentillesse sur la colère, de la fidélité sur la trahison, de la douceur sur l’agitation, de la maîtrise de soi sur la voracité. Pâques est la victoire de l’esprit sur la chair, de la vérité sur le mensonge, de la vie sur la mort. Le Christ est sorti du tombeau pour relever et accorder la victoire à ceux qui ont été engloutis par la mort, l’esclavage et la dégradation, comme Jonas le fut autrefois par la baleine.
Et comme Jonas de la baleine le troisième jour, Tu es sorti du tombeau !
Quelle ironie que l’ennemi ait prévu de célébrer sa victoire dans la capitale Kyiv en trois jours ! Il pensait engloutir rapidement tout un peuple, mais ses plans insidieux ont été brisés par l’héroïsme de nos forces armées. En réalité, c’est le Christ, ressuscité le troisième jour du tombeau, qui accorde à nous qui croyons en sa résurrection, la foi en la victoire sur l’enfer et la mort. Saint Jean Chrysostome, dans son sermon pascal, note que l’ennemi de la race humaine « a pris un corps et a rencontré Dieu face à face. Il a pris la terre et a rencontré le ciel. Il a pris ce qui était visible et est tombé sur l’invisible. De même, notre ennemi a pris ce qu’il a vu, mais est tombé à cause de ce qu’il n’a pas vu : la puissance de l’esprit, de la foi et de l’amour de notre peuple ! Notre victoire, la victoire de l’Ukraine, découle de la puissance du Christ ressuscité, qui nous fait sortir des profondeurs des horreurs de la guerre et de la mort, qui rompt les liens éternels et nous conduit victorieusement à la vie. Célébrer la Pâque du Christ en temps de guerre, c’est déjà goûter notre victoire. N’en doutons pas !
Celui qui apporte la mort est voué à la défaite car l’Ukraine fête Pâques ! Encore une fois, Jean Chrysostome, faisant écho aux paroles de l’Apôtre des Gentils (voir 1 Cor. 15:55), proclame : « Ô Enfer, où est ta victoire ? Christ est ressuscité et tu es renversé. Voskres Khrystos, et les démons sont tombés. Anesti Chrystos, et les anges se réjouissent. Le Christ est ressuscité et la vie coule librement ». Celui qui a cherché à nous asservir par la mort est déjà vaincu, car ses principales armes de colonisation et d’agression ont été détruites par le Christ lui-même par sa mort sur la croix et sa glorieuse résurrection.
Chers frères et sœurs en Christ ! Aujourd’hui, je vous offre à tous mon étreinte paternelle et fraternelle et je partage avec vous la joie de Pâques. J’embrasse tous ceux qui combattent sur les différents fronts – spirituels et physiques, en particulier nos soldats indomptables, nos pasteurs dévoués et nos bénévoles infatigables. J’embrasse avec une joie pascale tous ceux qui ont été contraints de quitter leur foyer et même leur terre natale, et je prie pour votre retour rapide dans un temps de paix qui arrivera sûrement. J’étreins dans la prière tous les blessés, afin que dans vos souffrances vous ressentiez le soutien, l’amour et la gratitude de toute une nation, mais surtout la grâce et l’amour constant de Dieu. Je salue tous ceux qui, dans le monde entier, soutiennent et assistent l’Ukraine, dans ses efforts, grands et petits. En tant que communauté mondiale, nous nous sommes montrés comme une ruche, où chacun de nous sent en esprit ce qu’il ou elle doit faire face au danger. J’embrasse ceux qui sont dans les territoires occupés, dans les zones d’engagement militaire, ceux qui n’ont pas la possibilité de préparer un panier de Pâques et qui chantent « Christ est ressuscité ! sous le rugissement des canons et des obus qui explosent. Dans l’espoir de la résurrection, je pleure avec tous ceux qui déplorent leurs morts, dans les rangs des forces armées et de la population civile. Puisse chacun de nous aujourd’hui ressentir l’espoir d’un avenir radieux dans la paix et l’harmonie, car la résurrection du Christ est la source de la paix. Puisse le riche symbolisme de notre pysanka traditionnelle nous rappeler que le Seigneur ressuscité est la source des dons célestes, de la joie, de la bonté, de la victoire et de la vie éternelle.
J’embrasse d’un amour paternel tout le clergé, les religieux et les fidèles d’Ukraine et du monde entier, et vous souhaite sincèrement à tous une sainte fête de Pâques, un savoureux partage de notre traditionnel œuf béni et une joie pascale pleine de lumière.
La grâce de notre Seigneur Jésus-Christ ressuscité, l’amour de Dieu le Père et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous.
Le Christ est ressuscité! – Il est vraiment ressuscité !
+ SVIATOSLAV
Kyiv – à la Cathédrale Patriarcale de la Résurrection du Christ,
en la fête de l’Annonciation de la Très Sainte Theotokos
7 avril (25 mars) 2022 A.D.