Mgr Hlib Lonchyna : « L’autorité épiscopale n’est pas le pouvoir de la force, mais la force du service »

Le 1er septembre le Saint-Siège a annoncé que le Saint-Père le Pape François a accepté la démission de Monseigneur Hlib Lonchyna de son poste d’évêque de l’Éparchie de la Sainte-Famille de Londres. Après l’annonce, Mgr Hlib est brièvement revenu sur le bilan de son ministère au Royaume-Uni et sur ses projets d’avenir. 

Comment résumeriez-vous 10 années de service au Royaume-Uni et en Irlande ? Qu’est-ce qui a changé ? Qu’avez-vous réussi à développer et à préserver ?

En 2009, je suis arrivé à l’Exarchat britannique en tant qu’administrateur apostolique ; puis le Synode des évêques de l’Église gréco-catholique ukrainienne m’a choisi comme exarque. Plus tard, notre Synode a demandé au pape Benoît XVI d’élever nos deux exarchats d’Europe occidentale – celui de Grande-Bretagne et celui de France – à la dignité d’éparchie. Ce fut chose faite en janvier 2013. Je considère comme une grande bénédiction d’avoir participé au développement institutionnel et pastoral de l’Éparchie de Londres, m’est devenue très proche au fil des années.

Mon souci principal n’a pas été d’administrer, mais plutôt d’être le pasteur de nos fidèles en Grande-Bretagne, mais aussi en Irlande, dont je suis le visiteur apostolique depuis 2004.

Le Royaume-Uni a connu deux vagues d’immigration d’Ukrainiens : la première après la Seconde guerre mondiale et celle plus récente, qu’on appelle migration de travail. Ce sont deux groupes de personnes que j’ai tenté de réunir, pour aider les nouveaux arrivants à s’intégrer dans la société, à se soutenir mutuellement et à collaborer. Mes outils étaient assez simples : sermons, entretiens spirituels, confessions, conférences et rencontres ordinaires.

Comment est notre Église dans cette partie du monde ? Qui remplit nos églises ?

L’Éparchie de la Sainte-Famille de Londres couvre toute la Grande-Bretagne, c’est-à-dire l’île, où se trouvent l’Angleterre, le pays de Galles et l’Écosse. Comme je l’ai déjà mentionné, on distingue deux vagues d’immigration principales. L’immigration d’après-guerre a été nombreuse, dépassant les 30.000 personnes qui se sont installées dans toute l’île. C’est pourquoi, nos paroisses sont dispersées à travers tout le Royaume-Uni – de l’Écosse jusqu’au sud de l’Angleterre. Notre Église était bien organisée. Nos communautés n’ont pas construit d’églises, elles n’en avaient pas la possibilité, mais elles ont acheté des églises existantes, principalement anglicanes, qui ont été réaménagées pour notre rite. Diverses organisations culturelles et d’éducation ont vu le jour. Tout cet ensemble composait notre réalité.

Mais dans les années 1990, beaucoup de personnes issues de l’ancienne immigration sont décédées, alors que leurs enfants et petits-enfants se sont éloignés de l’Église pour diverses raisons.

En 70 ans, le nombre de fidèles a beaucoup diminué. À la fin des années 1990 et au début des années 2000, des gens venus d’Ukraine ont commencé à venir ré-remplir nos églises. Cependant, ils s’installent principalement dans les grandes villes, là où ils peuvent trouver du travail, notamment à Londres. Notre paroisse cathédrale se compose principalement de ces nouveaux immigrants ; ils sont moins nombreux dans d’autres localités, et cela se remarque dans les paroisses. Aujourd’hui, nous avons 30 communautés, dont 10 sont des paroisses à part entière et 20 autres – des missions, comptant peu de fidèles et où la Liturgie n’est pas célébrée tous les dimanches.

Comment la nature de la nouvelle émigration affecte-t-elle le service pastoral ? Quels sont les défis pour l’évêque et les prêtres ?

La pastorale dans de telles conditions de dispersion des fidèles est très différente de la pastorale en Ukraine, où les gens vivent ensemble et dans leur pays natal. En raison de la dispersion et de l’activité constante de nos fidèles – les gens viennent ici avant tout pour travailler – nous ne pouvons voir nos fidèles que le dimanche. Tout le travail pastoral doit pratiquement être fait en quelques heures. Cela nécessite plus d’attention, car tout le plan pastoral est concentré sur le dimanche. C’est un défi pour la mission du prêtre, qui doit prêter grande attention aux besoins des personnes qui viennent à lui et leur donner tout ce qu’il peut.

Par ailleurs, les prêtres sont rares, et ils ne peuvent pas tous rester très longtemps avec la communauté [après la Liturgie]. Nous avons de nombreuses confessions à Londres, souvent du matin jusqu’en fin d’après-midi. C’est aussi une partie importante de la pastorale.

Qu’est-ce qui a déterminé votre décision de quitter la charge d’évêque éparchial ?

L’année dernière, notre Synode m’a nommé président de la Commission pour la préparation des textes liturgiques, puis cette année, le Saint-Père m’a confié le poste d’administrateur apostolique de l’Éparchie Saint Volodymyr le Grand de Paris, au moment où Mgr Borys Gudziak est devenu métropolite à Philadelphie. Ce sont deux grandes responsabilités qui se sont ajoutées à la principale – diriger l’Éparchie de Londres. Et à cause de diverses autres responsabilités, je voyage beaucoup et suis souvent à Rome et en Ukraine.

Au cours des derniers mois, j’ai assumé mes responsabilités, mais aussi compris que je ne pouvais pas tout faire correctement. Mes fidèles de l’Éparchie de Londres ont besoin de soins constants. L’évêque doit s’occuper de l’éparchie, aller dans les paroisses, être à 100% avec les gens.

Pour le bien de l’éparchie, nous avons besoin d’une personne qui ne sera en charge que de ces deux îles. Je me suis donc tourné vers le Saint-Père et il m’a gentiment libéré de mes fonctions pour l’Éparchie de la Sainte-Famille de Londres.

Dans quel état d’esprit partez-vous ? Qu’est-ce qui va vous manquer ? Comment allez-vous rester en contact avec les fidèles dont vous avez été et resterez le père spirituel ?

J’avais de bonnes relations avec les prêtres et, dans chaque paroisse, j’ai trouvé des personnes qui véritablement cherchent Dieu et qui apprécient les visites de leur pasteur. Cette relation directe avec les fidèles me manquera.

Ce fut toujours un plaisir de voir comment les diverses paroisses et organisations travaillent ensemble pour préserver et développer ce que nous avons. Cela montre le bon esprit de nos fidèles, que j’ai observé avec une grande reconnaissance.

J’ai passé dix ans au Royaume-Uni. C’est ma plus longue période de ministère pastoral et les personnes avec lesquelles j’ai noué des liens spirituels me manqueront.

De quel nouvel évêque rêvez-vous pour l’éparchie ?

Tout d’abord, il doit s’agir d’une personne de prière, qui intercède devant Dieu pour ses prêtres, ses religieux et ses fidèles. C’est un pasteur qui est ouvert aux gens et veut les servir. Il n’a pas peur des défis et est prêt à sacrifier temps et efforts pour être avec les gens, visiter les paroisses même les plus éloignées, soutenir les prêtres et développer la pastorale. L’évêque doit aimer les prêtres et être un vrai père pour eux.

Ce doit être un évêque qui respecte et aime notre rite, nos traditions.

Bien sûr, il doit connaître l’anglais, car notre évêque fait partie de la Conférence des évêques catholiques de l’Angleterre et du Pays de Galles. J’ai donc été amené à rencontrer les évêques locaux. Nous sommes également en contact avec les Syro-malabars, des chrétiens orientaux originaires d’Inde, qui ont leur propre éparchie en Angleterre, à l’instar des Ukrainiens.

En résumé, dis-je, nous avons besoin de spiritualité, d’ouverture et de travail.

Qu’en est-il de l’Éparchie de Paris, dont vous êtes l’administrateur apostolique ?

Je resterai dans ce poste temporaire jusqu’à ce que notre Synode choisisse un nouvel évêque et que le Saint-Siège le confirme. Dans l’Éparchie de Paris, je veillerai à maintenir et à développer tout ce que Mgr Borys Gudziak a obtenu en 6 ans.

Mais en même temps, votre ministère épiscopal ne s’arrête pas là. Qu’allez-vous devenir maintenant ?

En tant qu’évêque dans notre Église, j’ai occupé différentes fonctions. Changer de ministère n’est donc pas nouveau pour moi. J’ai servi en Italie, en Espagne, comme évêque de la Curie en Ukraine ; j’ai également été prêtre dans mon monastère, le Studion, et curé de la paroisse Saint Nicolas à Passaic (New Jersey, États-Unis). A Kyiv, j’ai travaillé comme attaché à la nonciature apostolique ; de plus directeur spirituel et professeur au séminaire de Lviv, ainsi qu’à l’Académie théologique de Lviv et dans d’autres institutions académiques. Je considère tous ces différents ministères comme une ligne continue de mon service pastoral. Pour le reste de ma vie, je suis lié à toutes les personnes que j’ai rencontrées, je les porte toutes dans mon cœur et dans mes prières. Où que je sois, elles me seront toujours chères.

Je continuerai à visiter les paroisses, à célébrer la Liturgie pontificale, à prêcher la Parole de Dieu et à encourager les gens à aimer Dieu et leurs prochains, comme je l’ai fait jusqu’à présent.

Permettez-moi une question très directe : que veut dire « autorité épiscopale » et que signifie de délibérément y renoncer ? Le monde – actuel et passé – est tout simplement obsédé par le pouvoir ; comment pouvez-vous résister à cela ?

L’autorité épiscopale n’est pas le pouvoir de la force, mais la force du service. Si je ne sers pas les fidèles, même si j’ai le plus grand pouvoir au monde, cela ne profitera à personne. Je ne renonce pas à ce pouvoir pour rechercher le prestige ou une position plus favorable, mais je souhaite le bien de l’éparchie. Dans la prière, j’ai longtemps réfléchi au meilleur moyen de servir mon éparchie et mon peuple. Et je considère qu’après dix ans, il me faut me retirer et laisser un autre assumer cette responsabilité afin que l’éparchie puisse continuer à croitre et à se développer.

Propos recueillis par Mariana Karapinka

Rome, 1er septembre 2019